Le secteur de la distribution alimentaire au bord de la rupture. Témoignages

Depuis le début du conflit en Ukraine, les postes « énergies » de milliers d’indépendants prennent des proportions au delà de tout entendement, au delà de ce qui est possible pour la plupart des PME en Wallonie et à Bruxelles. Nous avons été à la rencontre de ces indépendants qui se battent tous les jours pour sauver leur outil de travail.

Parmi les professions dangereusement impactées par l’envol des factures, il y a le secteur de la distribution alimentaire. Les frigos, l’air conditionné, les chambres froides, les frigos publicitaires, les rôtisseries, les bureaux, les vestiaires… un énorme gouffre énergétique. Au début de la crise, les propriétaires indépendants des petites et moyennes surfaces (représentés par la fédération Aplsia), géraient ce poste et tentaient de le maîtriser. Aujourd’hui, ça devient invivable, comme nous le dénoncions dans la presse, quelques jours plus tôt. Découvrez quatre témoignages récoltés sur le terrain. 

Depuis 2014, François est le propriétaire d’une surface de proximité de 300 m² sous enseigne dans le Brabant Wallon. Son épouse, Anne-Valérie, et lui emploient 8 ETP. « En janvier 2022, mon tarif contrat électricité est passé en variable. Auparavant, je payais des factures mensuelles de 2.000 euros … elles ont triplé depuis le début de l’année. La facture du mois d’août a quintuplé. Je sais que mon poste énergie va augmenter de 68.000 euros (si les prix n’augmentent plus), à quoi il faut ajouter les factures de gaz, l’indexation des salaires, les loyers. En gros, il s’agit d’une surcharge de +/-100.000 euros ». Petite bulle d’air, François payera en octobre la dernière traite de son crédit à l’investissement, mais pas de quoi inverser la tendance. A ces factures, s’ajoute un changement de consommation de ses clients, même si la localisation de son commerce le met relativement à l’abri : « Ils se tournent davantage vers les marques distributeurs, ce qui entraîne une diminution du panier moyen de 8 % et des marges qui en découlent. Les produits bios et locaux ont aussi moins de succès ». François s’est déjà séparé d’un ETP et demi. Le couple, qui travaille 70 heures/semaine (chacun), se rémunère sur la trésorerie et a déjà fait l’état des lieux des postes de fonctionnement à supprimer.  Il n’y a plus grand-chose à enlever. « Nous allons couper notre contrat publicitaire dans le « toute boite » du village, notre play list musicale « adaptée à l’ enseigne », éteindre la lumière quand c’est possible. On avait déjà fait le tour de ce qui est envisageable, on en est au bout ! ». Et de conclure : « Le panier moyen diminue, les charges explosent, et face au consommateur qui subit déjà l’inflation due à l’augmentation des prix chez nos fournisseurs, il nous est impossible, vu la concurrence, d’augmenter nos prix pour couvrir nos propres charges. Malgré la rage de nous en sortir, on va droit dans le mur et une fois notre trésorerie épuisée, on fonce vers une fermeture définitive du magasin dans environ 6 mois ».

UCM est sur le front depuis les premières heures et soutient les indépendants :

Guillaume est aux commandes d’un carrefour market bruxellois depuis janvier 2015. Quelques chiffres : 550 m², 12 ETP… et un contrat d’énergie encore fixe : « Nous passerons au coût variable au 31 décembre prochain. Aujourd’hui, nous payons 4.000 euros pour l’électricité en compteur professionnel, soit un coût de +/- 45.000 euros par an. Selon mes projections, nous risquons d’atteindre 180.000 euros de charge d’énergie alors qu’avec indexation, mon loyer coûte 134.000 euros par an. Sans oublier, évidemment, l’indexation des salaires ! ». Au fil des rayons, Guillaume constate un changement dans les achats des clients. Il a d’ailleurs supprimé plusieurs articles de son catalogue : « Nous avons aussi remarqué que si le nombre d’articles du panier moyen diminue, la valeur du panier ne diminue pas. Nous arrivons encore à nous payer mais, l’année prochaine, je ne pourrai plus le faire. Avec ces tarifs, je ferai une année en négatif même sans me rémunérer. Nous allons donc, non seulement revoir certains de nos investissements, mais aussi adopter de nouvelles habitudes. Ainsi, il y a du LED partout, une minuterie dans les vestiaires et les bureaux, et c’est désormais moi qui vais au marché matinal pour négocier en direct les prix des primeurs. En supprimant un intermédiaire, nous avons la main sur les promos pour nous différencier. Nous achetons autrement et nous faisons preuve de créativité ». Et Guillaume de clôturer la conversation : « J’ai l’impression que les politiques pensent que nous avons encore du temps pour la réflexion mais c’est maintenant qu’il faut agir, car préserver le consommateur, c’est aussi préserver son employeur ».

Pour en savoir davantage, UCM a publié un dossier « Energie », paru dans le dernier numéro d’UCM Magazine.

Renaud et son épouse, Diane, gèrent deux AD Delhaize, l’un en brabant wallon (1325 m²), depuis janvier 2018, le second (2.000 m²) à Evere, depuis janvier 2020. Ils emploient une quarantaine de collaborateurs sur les deux sites. 

« Nous sommes en train de traverser la crise en faisant le gros dos. Notre chiffre d’affaires (une vingtaine de millions d’euros par établissement) est en légère croissance. Il est notre dernier rempart face à la crise. Notre principale difficulté, c’est la création de valeurs. Augmenter notre C.A et réduire nos coûts, c’est la ligne de conduite de notre entreprise ». Actuellement, les activités commerciales de Renaud lui permettent de ne pas piocher dans les réserves. Ce qui amortit le choc pour l’entrepreneur ? Probablement le fait qu’il a pu faire installer des panneaux photovoltaïques sur ses magasins : « Nous sommes passés de factures d’électricité de 6.000 à 23.000 euros/mois dans le brabant et de 8000 à 24.000€ à Evere. Les panneaux seront notre planche de salut ». Et d’ajouter : « Les bâtiments sont neufs, surtout à Evere, et ils ont été bien conçus. A cette bonne disposition, nous ajoutons une attention accrue autour de la moindre facture pour ne laisser passer aucune dépense inutile. Je suis un optimiste de nature, qui voit les opportunités. Et pour moi, l’avenir va se traduire dans la professionnalisation du secteur. Il y aura moins de magasins et l’accès à la profession sera plus compliqué. Moins de quantité, davantage de qualité. Cette crise va permettre de conscientiser sur l’importance de l’énergie ».

Nous le disions dans ce communiqué de presse, un plan de sauvetage des entreprises est indispensable. Vendredi passé, les 27 ministres européens de l’énergie, réunis à Bruxelles, ont demandé un plafonnement du prix de gaz importé en Union Européenne. Ils travaillent également sur une obligation d’économie d’électricité valable pour tous les consommateurs européens. Tous dans le même bateau… ou radeau ? Ils se reverront le 30 septembre prochain pour continuer les discussions.

Chez nous, le fédéral se cantonne à limiter le taux de tva à 6 % et il réfléchit à l’élargissement du tarif social à un nombre plus important de Belges. Et en Wallonie ? Il reste le plan de relance wallon. Il est urgent de le reprioriser et de dégager une aide pour nos entreprises… avant que la Wallonie ne devienne un vaste désert économique.

« Je gère deux Carrefour Express en région bruxelloise depuis plus d’une quinzaine d’années et j’emploie 13 ETP sur les deux entités. Globalement, avant la crise, je payais en moyenne 25.000 euros d’électricité par an. Aujourd’hui, je suis entre 10.000 et 12.000 euros… par mois. Clairement, nous allons dépasser les 100.000 euros. Et dans la mesure où notre résultat, avant impôt, est de 70.000 euros maximum… il est facile de comprendre que tout sera mangé par l’augmentation des postes énergie ». 

Olivier est un homme de chiffres, il a déjà mis en place une série de restrictions pour réduire la voilure, avant même la crise. « Fort heureusement, nous avons des magasins qui tournent bien et aucun crédit sur les épaules. Mais il faut faire attention à tout. Par exemple, cet été, la climatisation a été peu utilisée. D’un côté, je ne peux pas réduire le nombre de collaborateurs qui sont déjà « couteaux suisses » et de l’autre, la masse salariale va encore augmenter. Nous allons donc vivre sur la trésorerie dans un premier temps, essayer par tous les moyens d’éviter l’indexation des loyers et renégocier avec nos fournisseurs ». A la palette de services déjà mis en place, Olivier est sur le point d’ajouter la livraison à domicile par un partenaire extérieur. Ainsi, le client passe commande en ligne tandis qu’elle est livrée à domicile. Une manière d’aller chercher des clients au-delà de sa zone habituelle. Nous avons aussi mis des minuteries sur les lampes et des détecteurs de mouvement dans les bureaux, négocié un abonnement chez un nouvel opérateur téléphone, fait appel à un bureau de consultance énergie. Nos collaborateurs sont aussi sur la corde raide, chaque mois nous recevons des demandes d’avance sur salaire. Je suis plutôt quelqu’un d’optimiste et positif mais je suis tracassé de ne voir aucune amélioration dans les semaines à venir. J’espère que les prix seront bloqués à un niveau décent. Sans quoi, on court à la catastrophe ».: 

L'auteur.e de cet article

Isabelle Morgante
Chargée de Communication chez UCM depuis 2009 et aujourd'hui responsable de la communication politique. Je veille à mettre en lumière le travail et l'expertise des conseillers du service d'études, toujours au service des entreprises wallonnes et bruxelloises.
Isabelle Morgante

Isabelle Morgante

Chargée de Communication chez UCM depuis 2009 et aujourd'hui responsable de la communication politique. Je veille à mettre en lumière le travail et l'expertise des conseillers du service d'études, toujours au service des entreprises wallonnes et bruxelloises.

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